L’investissement responsable, kézako ?

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Etienne De Callataÿ

Qu’est-ce que l’investissement (socialement) responsable ?

Il n’y a plus moyen d’ouvrir la radio sans entendre l’investissement responsable être vanté dans telle ou telle publicité financière. Mais qu’est-ce que l’investissement responsable ou socialement responsable (ISR) ? La question, malgré sa naïveté apparente, doit être posée … car il existe de multiples manières d’y répondre, sachant qu’il n’y a pas une norme internationale, ni officielle ni même informelle, pour décréter ce qui est responsable et ce qui ne l’est pas.

La première chose à dire à propos de l’investissement responsable est qu’il s’agit d’un investissement. Poser cette évidence est utile car c’est souligner que celui ou celle qui choisit d’investir de manière responsable NE REMPLACE PAS des critères classiques d’investissement par des critères éthiques mais qu’il AJOUTE les seconds aux premiers. Dans le choix d’investir dans telle entreprise ou dans telle autre, l’investissement « classique » se base sur des critères financiers tels que le rendement sur fonds propres, l’endettement, le dividende, la croissance du chiffre d’affaires, la qualité du management, l’avance technologique, etc. L’investissement responsable, qui, lui aussi, doit choisir dans quelles entreprises investir, ne fait pas fi de ces critères financiers mais prend aussi en considération d’autres critères, dits fort logiquement « extra-financiers ». Ces critères extra-financiers ont le plus souvent trait à 3 grands domaines, l’environnement, les droits sociaux et la gouvernance de l’entreprise. L’acronyme ESG synthétise ces 3 domaines : environnement, social et gouvernance.

L’investissement responsable va le plus souvent procéder en deux temps, d’abord utiliser les critères extra-financiers et ensuite utiliser les critères financiers. Dans un premier temps, l’investisseur ou son gestionnaire de patrimoine vont déterminer un jeu de critères extra-financiers et soumettre les entreprises à un examen en regard de ces critères. C’est comme un filtre ou un tamis : il y a alors des entreprises qui satisfont le jeu de critères et qui sont réputées « investissables », et les autres sont considérées comme « non investissables ». Dans le second temps, il s’agit de choisir parmi les valeurs « investissables » celles qui, cette fois-ci sur la base de critères financiers, seront retenues pour y investir.

Il y a 3 grandes sortes de filtres extra-financiers. La première est un filtre d’exclusion : il est décidé de s’interdire d’investir dans des entreprises en raison de leurs activités ou de leur organisation. Il s’agit, par exemple, d’exclure les secteurs des armes, du tabac, de l’alcool, de la pornographie ou du charbon. La liste peut être plus ou moins longue. Certains la raccourciront et d’autres excluront aussi l’énergie nucléaire, tout ou partie des énergies fossiles, conventionnelles ou non conventionnelles, ou les OGM, par exemple, parmi d’autres activités qualifiées de « controversées ». À côté des exclusions sectorielles ou sous-sectorielles, il y a encore les exclusions sur la base de critères d’organisation de l’entreprise : rémunération des travailleurs, droits syndicaux, pratique de l’« animal testing » non médical, diversité dans les conseils d’administration ne sont que quelques illustrations de critères non spécifiques à tel ou tel secteur d’activité pouvant conduire à une exclusion.

La deuxième sorte de filtre extra-financier est à l’opposé de la première : au lieu de fixer des critères d’exclusion, ce sont des critères d’inclusion qui prévalent. Par exemple, ne seraient « investissables » que les entreprises actives dans les énergies renouvelables, la préservation de l’eau et l’alimentation raisonnée.

Etienne de Callataÿ, célèbre économiste belge, nous présente dans cet article les principes d’investissement responsable
(souvent appelé ISR) généralement utilisés de nos jours par les sociétés de gestion de fonds.

La troisième sorte de filtre extra-financier est appelée « best in class ». Ici, on ne parle ni d’une liste négative d’activités exclues ni d’une liste positive d’activités autorisées mais on va considérer chaque secteur distinctement et, au sein de chaque secteur, un classement est établi entre entreprises sur la base de leurs performances extra-financières. Ainsi, s’il y a 40 entreprises relevant du secteur financier entrant en ligne de compte, elles reçoivent chacune un « bulletin » ou « rating » extra-financier, basé sur une combinaison pondérée de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Il en ressort un classement et seuls les 25% ou les 50% – ou un autre pourcentage – des entreprises les mieux classées du secteur sont réputées « investissables ».

Les fonds d’investissement thématiques relèvent de la deuxième approche. S’ils sont présents dans les portefeuilles proposés par nombre de gestionnaires, ils souffrent d’un défaut important, à savoir le manque de diversification. Un fonds thématique « énergie renouvelable » aura certainement une belle force d’attrait mais il n’est pas raisonnable de concentrer ses investissements sur tel ou tel secteur. Ainsi, même si l’énergie renouvelable est évidemment promise à un bel avenir, il est loin d’être acquis que les entreprises cotées actuelles actives dans ce domaine se révéleront avoir été de bons placements, notamment à la suite de possibles bouleversements technologiques.

La préférence des gestionnaires professionnels va pour la troisième sorte de filtre, la méthodologie « best in class ». Celle-ci, en effet, permet d’assurer la plus large diversification sectorielle des portefeuilles. En outre, elle a aussi une vertu en termes sociétaux, à savoir d’être plus incitative que les deux autres approches. Si une entreprise chimique est déclarée « non investissable » en raison de son secteur d’activité, elle n’est pas incitée à faire des efforts sur le plan du E, du S ou du G. En revanche, si figurer parmi les bons élèves du secteur permet de recevoir un label ESG, elle fera de tels efforts pour en être ou pour rester dans ce groupe bénéficiant du label, un label recherché car apprécié aussi bien des clients que des collaborateurs.

En pratique, il est bien entendu possible de combiner la méthode des exclusions et celle du « best in class », et c’est d’ailleurs ce que la plupart des gestionnaires proposent. Le portefeuille qu’ils géreront aura donc exclu un certain nombre d’activités et, pour le reste, ce seront les meilleurs – ou les moins mauvais – élèves de chaque secteur dans lequel il s’agira d’investir. En matière d’investissement responsable, comme dans l’investissement classique, coexistent des gestionnaires dits actifs et des fonds dits indexés (avec des ETF ou des trackers). Les gestionnaires responsables actifs procèdent à une sélection de valeurs parmi celles qui sont considérées comme « investissables ». En gestion indexée, toutes les entreprises réputées « investissables » se retrouvent dans le portefeuille, avec un poids proportionnel à leur capitalisation boursière.

Mais qui détermine quelles sont les entreprises responsables et donc les entreprises « investissables » ? Tout investisseur particulier peut le décider pour lui-même, et constituer ainsi son portefeuille. S’il s’adresse à un gestionnaire, le plus souvent, ce dernier se fiera aux classements ESG fournis par un prestataire externe indépendant, qu’il aura rémunéré pour avoir accès aux « bulletins » extra-financiers. Les deux prestataires mondiaux les plus connus sont MSCI et Sustainalytics. Si telle est largement la pratique dominante, il est aussi des gestionnaires qui développent en interne leur propre manière d’établir un bulletin extra-financier. Dans un cas comme dans l’autre, il est possible de faire certifier le processus de sélection des entreprises « investissables », une certification dont le degré d’exigence sociétale est variable et non contrôlé par une instance publique.

Article rédigé à la demande de Patrimoine Consult par Etienne de Callataÿ

Administrateur et économiste en chef d’Orcadia Asset Management
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